Skin in the game : pouvoirs et responsabilités

Skin in the game

Je regardais dernièrement, pour la seconde fois, un film que j’avais vu au cinéma à sa sortie : Walter Mitty. Il s’agit de l’histoire d’un type rêveur, entièrement dévoué à son travail, qui exécute ses tâches avec passion et consciencieusement depuis une vingtaine d’année, mais qui doit affronter un plan social. Documentaliste dans un grand magazine papier, il oeuvre dans une industrie qui se fait disrupter par le numérique ; son job, tout comme lui-même deviennent obsolètes ; et on le lui fait bien comprendre.

Il y a plusieurs messages dans ce film, au-delà de l’aspect divertissant d’un gentil mythomane qui s’invente une vie pour s’extraire de la banalité affligeante de sa propre existence. On peut y voir la fin d’un monde et la difficile reconversion d’individus qui se sont conformés pendant une parti importante de leur vie à un format qui se désintègre. On peut y voir la quête d’un homme qui se trouve pris au pied du mur de devoir enfin prendre sa vie en main pour se réaliser en tant qu’individu. On peut se dire également qu’il faut parfois partir loin physiquement pour découvrir ce que l’on a de profondément enfui au fond de soi-même…

En fait, en revoyant les personnages évoluer sur l’écran, et connaissant l’histoire, le flash qui m’est venu à ce moment-là a été celui-ci. Je vous le livre sans filtres, comme il m’est venu, en toute spontanéité, avant de m’en expliquer :

« Le problème du monde occidental moderne, c’est qu’il est gouverné par ça : des gueules de con barbus sur des corps de lâches cintrés dans un costume trois pièces ».

Je vois déjà mes amis bucherons me tomber dessus. (Je tiens à préciser que je me contrefous des barbus ; ils font ce qu’ils veulent de leurs poils. En outre, les bucherons ont souvent des bonnes têtes ; il faudra réactualiser l’article en fonction de la prochaine mode capillaire masculine. A l’attention de la postérité, cet article a été rédigé en 2019).

Non, en fait, nous voyons des « fashionistas » formés à l’intrigue de bureau et missionnés par des financiers, venir expliquer à des gens qui ont un véritable métier, qu’ils sont obsolètes, dépassés, voir que c’est normal qu’ils disparaissent parce qu’ils sont des dinosaures inutiles, et sans doute des abrutis, puisque démodés dans tous les sens du terme ; chemisette cravate et stylos dans la poche poitrine ; pensez-donc !

Ces « talking heads » d’open space ne produisent rien. Ils surfent sur les tendances et savent se placer pour vivre sur le boulot d’autrui, car il faudra bien, malgré tout que de pauvres futurs dinosaures mettent les mains dans le cambouis pour produire, ne serais-ce que ce qu’ils consomment dans leur assiette ! À moins que notre monde ne devienne tout entier virtuel ?!

Ces gens-là, en plus d’être improductifs, manquent totalement de respect, non pas pour l’autre groupe, mais pour le travail de l’autre groupe, ce qui est pour moi plus grave encore. Je repense, à cet effet, à une anecdote rapportée par maître Henri Plee concernant un éminent maître de judo de l’après guerre, spécialisé dans le combat au sol. Celui-ci se désespérait de voir les jeunes générations se désintéresser du sol pour ne se consacrer qu’à ce qu’ils estimaient être plus flashy, moderne et efficace : les spectaculaires projections. Ce maître en pleurait, parait-il, car il ne voyait pas de survie à son savoir-faire. L’Histoire lui redonnerait le sourire aux lèvres s’il avait pu assister au fantastique renouveau du sol lié aux premiers UFC et à l’avènement de la famille Gracie en Jiu-jitsu brésilien à la fin des années 90.

La Tradition survie car ses principes sont universels et résistent à l’usure du temps ; pas les modes.

Non en fait, le problème majeur que je vois à tout ça, peut être résumé en une phrase. Les américans disent : « Skin in the game« . On pourrait dire mettre sa peau en jeu.

Le problème majeur c’est que nous vivons une époque qui favorise et met en avant le manque de responsabilités personnelles. Les décideurs jouent … avec le capital des autres. Et tout cela, sans conséquences directes pour eux-mêmes en cas de faillite, au sens idéologique et économique du terme.

  • Crise financière monstrueuse en 2008 liée au « gambling » des banquiers ?! Combien ont payé la facture en allant en prison ?
  • Les généraux antiques menaient leurs troupes devant, sabre au clair. Toutes ces personnes « éclairées » de notre merveilleux monde contemporain seraient-elles aussi vindicatives si elles devaient faire de même en déclenchant une guerre sous je ne sais quel motif à l’autre bout du monde ?!
  • Tous ces gens qui rendent notre environnement de plus en plus fragile à cause de l’interdépendance, de la spécialisation accrue et de la complexité inutile des économies payeront-t-il la note lorsqu’un autre grain de sable viendra enrayer la machine ?
  • Et ceux qui détruisent les socles traditionnels et culturels des peuples et des nations aux motifs d’idéologies « progressistes » déconnectées des réalités liées au temps long de l’Histoire ?! Seront-ils en première ligne lorsque la guerre civile éclatera ?

Personnellement, je vois dans des mouvements comme la résurgence d’anciens métiers et savoir-faire comme forgeron par exemple, ou comme la permaculture, la résistance saine du bon sens qui a permis à l’humanité de survivre et de se développer jusqu’à maintenant. Je ne dis pas qu’il faut revenir à l’âge de l’os, mais que la résurgence de valeurs traditionnelles comme le sens de l’honneur ne serait pas un mal.

Qu’on exige à nouveau des décideurs qu’ils mettent leur « peau en jeu ». Que quelqu’un qui décide d’une guerre puisse être aussi inquiété physiquement. Qu’un financier ou qu’un politique qui joue avec la vie d’autrui à travers l’économie puisse être jugé pour la responsabilité de ses actes.

Cela impliquerait d’autres compétences que celles qui sont requises actuellement, à savoir : être capable de se conformer socialement en se formatant dans l’école qui va bien et qui délivre le bon diplôme. Savoir pénétrer les bons cercles pour obtenir les parrainages qui vont bien permettant d’intégrer les bons réseaux…

Et si on réinstaurait le duel ?

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