La notion de Kime dans les arts martiaux et le punch du boxeur

Le karaté-gi immaculé claque dans l’air au rythme des enchaînements martiaux de l’adepte. Des gestes puissants d’attaques et de défenses, dont la pureté d’exécution est soutenue par l’impression de détermination et de contrôle dégagés par le karatéka. Il n’y a aucun déchet dans cette chorégraphie de combat qui semble sortie d’un autre âge. Le mouvement suit sa trajectoire, comme la lame d’un sabre, partant d’un point A pour arriver à un point B, sans hésitations ou gestes parasites trahissant l’intention de l’exécutant, puis la tension, à son comble, culmine avec une accélération encore plus grande dans l’intensité émotionnelle de la séquence, et un cri sonore et guttural semble jaillir des tréfonds de l’être du karatéka, en synergie avec son ultime moment d’attaque ; il vient de pousser le kiaï. Les adeptes admireront alors la maîtrise technique du démonstrateur, et souligneront la qualité de son kime.

Intimement lié à la notion d’efficacité en karaté, le kime est observable chez le pratiquant avancé, et constitue un des objectifs fondamentaux de la pratique ; cette capacité de littéralement « exploser » dans la réalisation d’une technique, sans quoi la gestuelle martiale ne reste que cela, c’est-à-dire une chorégraphie esthétique mais vide d’efficacité.

Que recouvre donc cette notion de kime, dans laquelle on retrouve le terme « ki », qui signifie énergie, et qui peut induire alors un certain mysticisme ?

tsuki

Comme toujours avec les arts martiaux d’origine asiatique, il est facile de tomber dans la mystification justement. Et pourtant, même si l’on ne peut rejeter une certaine forme de mysticisme, car l’entraînement dans un art martial est également une voie d’accomplissement spirituelle, il convient de faire la part des choses, car la « magie » ne réside pas forcément là où on l’attend ; des études scientifiques ont montré depuis les années 70, justement, qu’il n’y a rien de magique à casser une planche avec le poing, même si cela n’est pas à la portée de tous, et surtout sans entraînement approprié.

Alors qu’en est-il de ce fameux Kime ?

GENERER DE LA PUISSANCE

La puissance, c’est de la force associée à la vitesse. En clair, il s’agit de développer un mouvement qui présente une accélération constante sur toute sa course. Oubliez donc le travail avec élastique, car celui-ci, au contraire, ralentit le geste en fin de course de par la tension croissante de l’accessoire. Il faudrait au contraire chercher à travailler en sur-vitesse (comme je l’ai exposé dans mon ouvrage « puissance brute »). Le lanceur de disque ou de javelot cherchera donc à imprimer un maximum d’énergie cinétique à l’objet qu’il cherche à propulser le plus loin possible. De même, le karatéka va rechercher à développer le maximum d’énergie afin que son poing arrive en bout de course le plus rapidement possible. Cela va se faire en synchronisant les différentes chaînes musculaires pour produire le mouvement le plus efficace possible. Prenons le cas d’un coup de poing arrière (gyaku tsuki ; la fameuse droite du boxeur). Il y a alors une chronologie de la mise en œuvre de cette synergie dans le mouvement, qui passe par plusieurs étapes. Il y a tout d’abord une prise d’appui fondamentale, qui va permettre de commencer à propulser l’énergie générée par cette impulsion initiale. La force se transfert de la jambe d’appui à la hanche qui va entamer une rotation afin de continuer à propulser le poing, par l’intermédiaire de l’épaule et du triceps. Chez le karatéka, tout le corps se rigidifie une fraction de seconde à l’impact (c’est ce qu’on appelle le kime). Les muscles de l’avant-bras se contractent pour positionner et maintenir l’alignement osseux avec les métacarpses afin d’éviter les blessures à l’impact. Le coup de poing classique en karaté est d’ailleurs une technique rectiligne, qui permet cet alignement. Les muscles du torses également afin de verrouiller l’épaule en position (intercostaux, dorsaux, pectoraux). Les muscles de l’abdomen puisque le kime s’accompagne d’une expiration puissante, et les muscles des fondations (fessiers et jambes). Obtenir cette contraction totale en synergie de tous ces muscles après une phase de propulsion initiale sur fond de décontraction musculaire demande des années de pratique. Il faut en effet être relâché au départ du mouvement, car la décontraction initiale va permettre une contraction plus puissante. Il faut ensuite « mettre le feu aux poudres » et littéralement exploser dans l’impulsion initiale en générant une accélération constante jusqu’à l’impact.

L’EXPLOSION MENTALE ET ENERGETIQUE

Tout cela est évidemment soutenu et généré avant tout par le mental. Il s’agit déjà d’exploser dans sa tête et d’avoir la volonté de littéralement pénétrer et traverser la cible. Ainsi, cette sensation d’explosion et de pénétration de la cible ne s’arrête pas avec le kime visible physiquement au moment de la finalisation de la technique ; c’est ce qui permet à un expert de briser une planche. Celui-ci la traverse mentalement.
Rien de magique dans tout ça finalement, et pourtant si, d’une certaine façon, car sans les processus cognitifs adéquates, point de véritable kime. C’est une erreur de vouloir croire que cet effet est exclusivement la résultante d’une mise en œuvre physique et technique. La dimension psychologique et émotionnelle est fondamentale. Essayez de vous mettre sous une barre de plusieurs dizaines de kilos sans avoir l’état d’esprit de tout « arracher » ; il ne se passera rien, ou vous allez vous blesser. Le mental est prédominant dans le processus. D’ailleurs, cette notion d’énergie vitale couramment évoquée dans la culture asiatique et notamment dans les arts martiaux, n’est pas un truc abstrait qui apparait un beau matin et qui permet d’entrer en lévitation. Les travaux du docteur Yang Jwing ming nous révèlent simplement que cette énergie vitale est dirigée par l’énergie mentale. En d’autres termes, avant de chercher à méditer en espérant obtenir la révélation et en passant par toutes les couleurs de l’arc-en-ciel sans qu’il ne se passe rien au final, il s’agit plutôt de se « sortir les doigts » comme l’on dit vulgairement, afin de générer cet esprit de décision. Et croyez-moi, ce n’est pas si simple. J’ai observé beaucoup de karatékas qui n’ont malgré toutes leurs années de pratique pas réussi à développer cette faculté explosive, parce que le mental ne suit tout simplement pas.

LE PUNCH DU BOXEUR

Pour moi, le karaté nous offre une méthode efficace pour développer une qualité que l’on dit innée chez le boxeur ; cette capacité à générer du punch. Cette faculté ou ce don, qui permet de mettre KO d’un seul coup. Oui mais. Encore faut-il en comprendre toutes les composantes, à la fois techniques, physiques et psycho-émotionnelles.
Puisque l’on parle du karatéka, nous allons extrapoler un peu maintenant en partant de cette base, et je vais exposer ma conception de la technique et du Kime. Pour moi, la technique fondamentale, et notamment celle que l’on peut observer dans l’exécution des katas (formes pré-chorégraphiées), n’est qu’une étape qui permet de développer certaines qualités. En d’autres termes, une forme de rééducation, une sorte d’abécédaire qui doit amener l’adepte à développer son propre style d’efficacité après acquisition des principes de base. Force est de constater que dans notre style, certains préfèrent se contenter d’exécuter de belles formes. Ce n’est pas condamnable en soi, mais comme je l’ai déjà écrit, le kata (et par extension la technique de base en karaté) est comme un couteau suisse. Il est destiné à satisfaire plusieurs tâches en présentant une multitude de fonctions. Cela fait la force de l’art martial, mais aussi sa faiblesse lorsqu’il y a interprétation erronée ; cherchez à couper votre viande avec le tir bouchon et vous comprendrez !

Travail traditionnel au makiwara

Le coup de poing fondamental en karaté se dit Tsuki, et signifie littéralement pique. En clair, un tsuki est fait pour transpercer un adversaire potentiel. A cette fin, le travail du Kime (et de ses composantes techniques et psycho-physiques) est incontournable, tout comme l’est le travail au makiwara (poteau de frappe). Il s’agit en effet d’aiguiser sa technique contre un objet plus ou moins résistant, car le travail dans le vide, malgré ses qualités, présente vite ses limites. Tout Karatéka un peu consciencieux ayant travaillé au makiwara, aura expérimenté et testé son tsuki sur cette planche « élastique », et aura observé plusieurs choses. Tout d’abord, en travaillant dans l’optique traditionnelle de la technique fondamentale, il aura cherché à « écraser » le makiwara vers le mur à l’arrière (le poteau de frappe moderne est en général fixé contre un mur, par l’intermédiaire d’une base qui permet à la planche une certaine élasticité dans l’absorption des chocs. La zone de frappe est alors distante du mur qui fait office de support, d’environ une vingtaine de centimètres). Après tout, une « pique » (tuski) avec arme blanche par exemple va chercher à pénétrer la cible. D’ailleurs, un des kyokun ou préceptes martiaux d’Okinawa (berceau du karaté) rappelle que bras et jambes du karatéka doivent être comme des sabres.
Le résultat d’une telle frappe à main nue, est une frappe lourde et pénétrante.

Il s’agit maintenant d’expérimenter un autre type de frappe. L’idée est de propulser le poing comme un fouet afin que la main vienne percuter la cible et transmette l’énergie développée à l’intérieur de celle-ci. Cette façon de faire est moins traumatisante pour les articulations et plus efficace selon moi, car l’énergie pénètre littéralement à travers la cible et le corps, à cause de l’onde de choc.

Alors quel type de frappe employer ? Quelle est la meilleure ? Comme toujours en ce qu’il s’agit d’efficacité martiale, il n’y a pas de règle. C’est à chacun de développer son propre ressenti et capacités en fonction des circonstances.

En ce qui me concerne, j’envisage le tout selon une chronologie. La technique de base sert à découvrir et à acquérir les principes fondamentaux. La frappe lourde au makiawara permet d’avoir un retour immédiat sur information ; si la technique est mal maîtrisée, avec des segments osseux mal alignés par exemple, la blessure n’est pas loin ! De même, cette opposition du makiwara permet au corps de développer les ressources nécessaires afin de satisfaire aux attendus physiques de la technique. C’est un fantastique outil permettant un retour sur information immédiat. Il renseigne à la fois sur la qualité technique de l’exécutant, et sur les faiblesses éventuelles dans les chaînes musculaires du pratiquant. Cette étape ne doit donc pas être ignorée.
Cependant, il s’agit ensuite de passer à des frappes plus « percutantes », car elles sont moins traumatisantes pour les articulations, plus rapides, et permettent de transmettre plus efficacement l’énergie à l’intérieur de la cible ; celles-ci me semblent donc plus efficaces d’un point de vue de l’efficacité martiale. Le kime est toujours présent évidemment, plus que jamais, mais, sa forme s’affine et se raffine. D’ailleurs, si l’on compare ces explosions d’énergie dans différents styles, que ce soit le kime japonais des vieux styles de karaté d’Okinawa (comme le Shorin-ryu par exemple), le Fajing chinois des arts martiaux dit internes (Dachenchuang, taï chi…), ou la frappe d’un puncheur occidental, on se rend compte que le résultat doit être le même, ainsi que sa mise en œuvre.

KO légendaire de Marcianos sur Walcott

Les moyens, et notamment pédagogiques peuvent différer, car les cultures sont également différentes. Dans tous les cas, le kime est avant tout mental !

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